About > Démarche artistique/Artist Statement

Je travaille avec trois médiums alternativement : la peinture à l’huile, le dessin, et le collage. Je compose mon travail de manière exclusivement sérielle ; mes œuvres achevées en atelier se répartissent naturellement à travers une dizaine de séries en cours, certaines débutées il y a plus de vingt ans. Dès 1995, lorsque j’ai commencé à utiliser ce dispositif, la série s’est présentée à moi comme le moyen optimal de développer une recherche visuelle quasi-exhaustive d’un sujet, d’un concept, d’une idée, aussi bien dans l’œuvre individuelle qu’à travers son ensemble. Dans le cadre de la série, les œuvres partagent certains critères ou « données », qui les réunissent. Ces données guident mon processus pictural, et laissent libre cours à mes expérimentations et mes expressions dans tout leur éclectisme. Pascal Thevenet écrit : « Lisa Salamandra est peintre, résolument peintre. Elle produit par série de 10, 40, 100 mais aucune de ses peintures ne se ressemblent. La série est juste l’alibi qui structure son envie de peindre et qui organise son éclectisme. Il est toutefois possible de déceler quelques orientations dans cette œuvre profuse. »[1] En effet, organiser ma peinture de manière sérielle a rendu, et rend intelligible et sensible un éclectisme inné, opiniâtre, et finalement assumé, qui caractérise ma peinture depuis toujours. C’est une qualité à laquelle je tiens car j’ai fini par comprendre qu’il s’agit de la liberté de mon expression : je cherche à faire de chaque œuvre un voyage unique, palpitant, avec une fin presque/souvent imprévisible.

La figure[2] est au centre de ma démarche et de mon langage depuis toujours ; ma recherche visuelle se centre sur sa construction et cherche à faire évoluer sa facture picturale. C’est un processus créatif qui ne cherche pas à imposer une image à la toile ; tout au long du travail pictural, je fais surgir et tente de révéler des formes à travers une recherche et une expérimentation qui se font sur la toile même. Le processus pictural, guidé par les critères de la série, se lie donc intimement à une recherche sur la facture picturale des éléments, qui cherche à être en adéquation avec l’expression de mon sujet.

Mon travail dans l’atelier se divise en deux parties faites, d’un côté, des séries d’huiles sur toile, et de l’autre, des séries de dessin et de collage. Trois desdites séries ont fait l’objet de publications éponymes : Daily Bread (mon pain quotidien), Daily Bread: Raw Meat et Crotches. Les publications ont une raison d’être – un fonctionnement artistique – qui se résume à une double façon de lire la série : de manière globale et l’œuvre individuelle dans son cadre. Cette double lecture montre la cohésion et la richesse qui offrent une recherche visuelle qui se base sur des critères communs aux œuvres et qui s’étend dans le temps à travers des dizaines d’œuvres (« Daily Bread: Raw Meat », « Crotches ») ou bien des centaines (« Daily Bread »). Enfin, toutes mes séries, celles publiées comme celles ne l’étant pas, sont visibles sur mon site web qui est organisé par rubriques sérielles.

La quasi-totalité de mon travail s’articule autour de l’expression de l'intime – dont le rapport le plus pur se trouve au sein de l’acte créatif et uniquement par son biais. Grâce à la peinture, un lieu de « non-autocensure » a été créé (par besoin, par conviction, par désir…) et c’est dans ce lieu unique de ma vie où naît de ma main une imagerie qui m’éveille, qui me permet de découvrir, qui me trouble… Ce trouble m’a toujours été révélateur. Il me démontre, me révèle (me rend sensible), qu’une limite a été brisé, qu’un dévoilement a eu lieu. Dans ce sens, j’ai envie de m’approprier comme métaphore « la chrysalide brisante » de Georges Bataille lorsqu’il explique – pour des fins maintes fois plus compliquées et anthropologiques, tandis que les miennes y sont personnelles – sur « L’expérience intérieure de l’homme [qui] est donnée dans l’instant où, brisant la chrysalide, il a conscience de se déchirer lui-même ».[3] Mon déchireur est ce moment donné de ma prise de conscience devant ce qui s’est matérialisé sur le support, lorsque mes images me/se révèlent (le figuratif se liant, se chevauchant, se répondant avec le conceptuel). Ma cosa mentale ne s’exprime aussi purement, aussi dépouillée de tout artifice, qu’au sein des images qui naissent de ma main. Mon processus est déchirant parce qu’il ne cherche jamais à imposer mais plutôt à être l’incarnation de ma volonté obstinée de découvrir à travers le processus de la peinture même.

1. Pascal Thevenet, Extrait de texte du catalogue de la biennale Sculptura, Galerie d’art de la Villa Balthazar, Valence, 2018.
2. Je ne restreins pas ce terme à la seule représentation de la figure humaine ou des parties du corps humain, je l'utilise plutôt pour l'ensemble des représentations (formes) qui se rattachent à quelque chose de réel, existant.
3. Georges Bataille, L'Érotisme, Œuvres complètes X, Paris, éditions Gallimard, Coll. NRF, 1987, p. 42.

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